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SOUVENIRS

ques avec plus de considération qu’à présent, car j’avais une tante[1] qui envoyait toujours ses laquais en grande livrée sur la place de Grève, quand on y devait pendre quelque malfaiteur, en leur disant qu’ils allassent à l’école. Mais voilà que je vous ai mené bien loin de Mlle de Richelieu.

Je n’entreprendrai pas de vous décrire exactement cette charmante personne, parce qu’elle était pourvue d’une grâce indéfinissable. C’était un composé de charme d’esprit, de politesse noble, de traditions parfaites et d’originalité piquante, avec des manières exquises et comme une élégance parée sous laquelle on entrevoyait un germe de mort prochaine. C’était, pour ainsi dire, une image, une représentation de la noblesse et de la cour de France en 1782. Mme d’Egmont m’a laissé le souvenir d’une sylphide insaisissable, et son idée m’est toujours restée une impression prestigieuse, comme la suite d’un rêve enchanteur. Elle était grande et svelte ; elle avait des yeux bruns, noirs ou gris, dont la couleur était assortie à son impression du moment. On n’a jamais revu des yeux pareils à ceux-là pour les variétés de leur expression ni pour leur effet magique.

Ma bonne grand’mère avait mis dans sa tête de lui faire épouser le fils du Maréchal de Bellisle, le Comte de Gisors qui était le jeune seigneur le plus beau, le plus brave et le plus aimable de son temps. — Grand merci ! lui répondait le Maréchal de Richelieu ; je n’ai pas envie de donner ma fille au petit-fils du surintendant Fouquet ! Je ne dis pas, si j’étais

  1. La Comtesse d’Esclots.