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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

courager et voir applaudir les comédiens de Paris ; tout le monde pourra vous témoigner qu’on ne m’a jamais vue dans aucune salle de spectacle en France, mais toujours est-il vrai que j’ai laissé dire et prêcher les Abbés jansénistes ou gallicans, pour le surplus, sans m’en embarrasser non plus que du Prêtre-Jean d’Éthiopie. Nous étions à Paris sept ou huit dévotes pour lesquelles ces explications du Cardinal-Vicaire ont été d’un grand soulagement. Cette pauvre Abbesse de Panthemont avait toujours étranglé de soif en carême et les jours de jeûne, jusque-là que je lui fisse voir ce document dont nous primes autorisation pour boire de l’eau d’orange ou de l’eau d’épine-vinette autant qu’il en faudrait. — Liquidum jejunium non frangit. – Je vous en crois, me disait-elle, en s’en donnant à cœur joie ! La petite de Richelieu nous demanda la traduction de cette phrase latine ; c’était au parloir de sa tante, et ma cousine du Chatelet lui répondit agréablement que cela voulait dire « Mme de Créquy m’a tiré une fière épine du pied. » Voilà ce que Mme du Chatelet a jamais dit, véritablement de plus ingénieux. Cette agréable repartie avait toujours le plus grand succès dans son salon géométrique, où l’on a répété pendant vingt-cinq ou trente ans que c’était la plus bonne plaisanterie du monde. Voltaire en étouffait de rire et Mairan s’en pâmait. Il n’y avait là que Fontenelle et Mme de Boccage qui se possédassent raisonnablement, ce qui faisait dire à Mme du Chatelet qu’ils étaient insensibles à l’esprit des autres.

Nous avions rencontré plusieurs fois le Cardinal-a