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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

Cardinal Pamfili, Grand-Prieur de Rome, avait eu l’obligeance de nous réserver un appartement, que Mme des Ursins, tante de Son Éminence, avait pris la peine de faire ajuster le mieux du monde.

Je n’ai pas besoin de vous dire, et vous trouverez partout ailleurs qu’ici, comment la Princesse des Ursins avait été précipitée du faîte de la puissance et de la domination qu’elle exerçait sur les Espagnes ; et comment, en allant au-devant de la Reine Elisabeth Farnèse dont elle venait d’arranger le mariage avec le Roi Philippe V, ces deux nouveaux mariés, la firent saisir et conduire inopinément en grand habit de cour, en carrosse doré, sans linge et sans argent, sans femme de chambre, et qui pis est sans mantille, jusqu’à la frontière de France, où ses valets espagnols avaient reçu l’ordre de la déposer sur le pavé, avec son fard coulé, sa robe de brocard et les pierreries dont elle était couverte ; ce qui fut exécuté fidèlement et aussi respectueusement que possible. C’était assurément la plus singulière mesure de précaution qu’on eût jamais délibérée dans le conseil suprême de Castille. Mme des Ursins s’alla réfugier d’abord en son château de Chanteloup, qu’elle avait fait édifier auprès d’Amboise en Touraine, avec l’intention d’en faire le chef-lieu d’une petite souveraineté qu’elle avait rêvé d’établir à son profit, au milieu de la France ; mais elle ne manqua pas de s’y trouver trop à l’étroit et de s’y déplaire à mourir ; Louis XIV et Mme de Maintenon n’avaient conservé pour elle aucune illusion favorable, et force lui fut d’aller se réfugier à Rome, où du moins elle était certaine de se retrouver et pouvoir main-