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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

jusqu’à la troisième génération. Nous verrons si l’abbé Richard de Toustain n’est pas un faux prophète ? Mais sa malheureuse prévision n’a rien d’incroyable, en voyant l’audacieuse insolence de nos écrivains et la tolérance de notre Garde-des-sceaux[1] !

J’allais oublier de vous dire que, pendant notre séjour à l’hospice du Mont-Saint-Michel, il y vint deux filles de qualité, qui nous arrivaient à pied du fond de leur Quimper-Corentinois. C’est ainsi qu’on entreprend et qu’on exécute les pélerinages dans ce pays-là. L’une était Mademoiselle de Querohent de Coëtanfao de Locmaria, dont la mère était l’héritière du Connétable de Clisson, et l’autre Mademoiselle de Kervenozaël de Lanfoydras, qui jouait du tympanon comme une fée Janvrile, et qui savait son nobiliaire sur le bout du doigt. Ces deux jeunes personnes étaient en possession (comme toutes les femmes de leur pays) d’un esprit inconcevablement vif et piquant, judicieux, délibéré, naturel et pleinement débarrassé de toute ligature conventionnelle. Une politesse exacte ; mais de phrases à compliment pas un mot, ce qui n’en valait que mieux. C’était justement le contrepied de la noblesse de Normandie

  1. M. de Malesherbes avec toujours dit qu’il fallait laisser imprimer en France les mauvais livres, parce que, sans cela, ils nous viendraient de l’étranger, et que le commerce de la librairie pourrait en souffrir. M. de Malesherbes avait fait des plaies mortelles à la religion, à la dignité de la couronne, à la paix de l’État : s’il a beaucoup souffert, il avait grandement à réparer, soit dit sans rancune.
    (Note de l’Auteur, 1795.)