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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

deaux et vos couvertures : on y creusait des trous cachés sous l’herbe, afin d’y faire tomber les cavaliers pêle-mêle avec leurs montures, ce qui devait être fort agréable pour les cavaliers ! On y mettait du sel dans votre café, du piment dans votre tabac, du jus de coloquinte aux bords de votre gobelet, de la poix de Bourgogne à vos chemises, et du crin haché dans vos draps de lit. Vous imaginez bien qu’il y avait des grenouilles et des écrevisses dans tous les lits du château ? C’est une idée fondamentale en fait de mystification provinciale, et c’est toujours, m’a-t-on dit, la première idée qui vient à l’esprit de ces charmans espiègles de campagne. Toujours est-il qu’on ne pouvait aller visiter les jeunes mariés sans se trouver assailli par cette joie grosse d’attrapes et de brutalités impertinentes, ce qui faisait de leur château comme une sorte d’écueil et de rescif malencontreux pour toute la noblesse du voisinage.

Le Martainville et sa conseillère attendaient chez eux la veuve de l’intendant d’Alençon, qui s’appelait Mme Hérault de Séchelles, qui s’en allait tout doucement aux eaux de Baréges, en vovageant à très-petites journées, et qu’ils avaient suppliée de venir se reposer pendant quelques jours à Martainville. Il est bon de vous dire qu’elle était en convalescence d’une fluxion de poitrine, qu’elle avait soixante mille livres de rente, et que les Martainville étaient ses principaux héritiers. C’était du reste une vieille femme de robe, infiniment douillette, exigeante et susceptible à l’excès. C’était une de ces véritables intendantes qui sont adulées par la société d’une ville de province, et qui ne prennent jamais la peine de relever