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SOUVENIRS

qui protègent le philosophisme, qui s’isolent du reste de la noblesse, et qui se contractent dans leurs intérêts personnels. On n’aurait jamais pu trouver jadis un pauvre gentilhomme ou une seule fille de condition, que les princes et la haute noblesse eussent eu la barbarie, l’impolitique ou la négligence d’abandonner à l’humiliation, aux souffrances et aux tentations de la pauvreté.

Mlle des Houlières arrivait de votre province où elle était allée passer quelque temps auprès de la malheureuse châtelaine de Canaples[1], et comme elle avait été témoin de toutes les extravagances de votre pauvre oncle, elle avait peine à s’en taire devant nous. (On était loin de savoir alors que j’épouserais un Seigneur de la maison de Créquy.)

Imaginez qu’au château de Canaples il était interdit de servir à manger aux heures habituelles des repas, de sorte qu’on allait déjeûner, goûter ou collationner, comme on voulait, pourvu qu’on n’appelât pas cela dîner ou souper, dans une espèce de réfectoire où le buffet se trouvait garni, tant bien que mal, avec des pâtés de loutre qu’on fabriquait à Wrolland, et des jambons d’ours que M. de Canaples faisait venir de ses plantations du Canada. Il ne pouvait endurer les tourne-broches, qu’il appelait une invention des bourgeois et des financiers. Le

  1. Julie de Commerfort, femme d’Adrieu-Hugues de Créquy, Comte de Canaples et Vidame de Tournay. Il était veuf en premières noces de Charlotte de Rohan-Guéménée, sœur du Cardinal Armand-Jules et de la Comtesse de Brionne dont il est souvent parlé dans la suite de ces Mémoires.
    (Note de l’Éditeur.)