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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

aucun éclaircissement à ce sujet ; car on avait l’air de passer là-dessus comme sur des charbons ardens, et toute mon inquiétude était de ne pouvoir jamais découvrir le mot de cette énigme.

À propos de Mlle des Houlières, je vous dirai que cette illustre et vertueuse personne était le modèle achevé de la véritable et parfaite civilité gentilhomière. Elle était prévenante avec discrétion, naturelle avec réserve, respectueuse avec dignité, familière avec une mesure exacte. On entrevoyait qu’elle avait dû souffrir de la mauvaise fortune ; mais ce qui vous apparaissait visiblement à son air de sécurité douce et fière, c’est qu’elle ne s’était jamais trouvée dans aucun rapport d’assistance ou de protection qu’avec les gens les plus nobles et les plus délicats. Cette réunion de simplicité courageuse et de résignation modeste ne se retrouve plus dans les caractères. Les nobles qui deviennent pauvres, aujourd’hui, sont en révolte contre leur pauvreté et dans un état d’irritation haineuse contre les grands seigneurs ; ce qui fait, par un mouvement équitable et d’instinct naturel, que les riches sont dans un état permanent de contrainte, de défiance et de répulsion contre les pauvres, à moins qu’ils ne soient des mendians résignés à leur malheureux sort. C’est en effet de l’orgueil philosophique et de l’irréligion qui nous submergent et finiront par nous abîmer dans un océan d’amertume. On nous dit à cela : — Tant pis pour les pauvres ! — Hélas ! tant pis pour les riches, et surtout pour les plus riches et les plus nobles, ainsi qu’il est aisé de le prévoir ! À tout prendre, c’est aussi la faute des grands seigneurs