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SOUVENIRS

avoir envie de faire des sortilèges ? — Ma fine, Madameue, j’m’en aideue quand j’peue ! — Alors, répliqua l’Abbesse, je vois que si tu n’es pas véritablement sorcier, ce n’est pas faute de malenvie : ainsi-je vais te faire condamner par mes justiciers à passer huit jours en prison, et si tu continues, je t’enverrai pardevant le parlement de Rouen, qui condamne au feu les maléficiers, et les fait brûler tout vifs, écoute bien ceci ! — Vous n’aurez point cette peine-là, dit-il, j’ai fini mon temps. On apprit le lendemain matin qu’il s’était étranglé dans son cachot. Il fallut instruire ce procès criminel, et laisser pendant cinq jours et cinq nuits cet odieux cadavre dans les prisons de l’abbaye, ce qui nous faisait une horreur abominable ! On n’évoqua pas son affaire au parlement, ce qui va sans dire, et en exécution de la sentence de la cour abbatiale, on le fit enlever sur une espèce de claie, faite avec des branchages dépouillés de leurs feuilles, couché sur le ventre et côte à côte avec un chien mort ; ensuite on le fit traîner sur cette claie, par un âne (en ayant soin que les pieds de l’homme fussent attachés à la queue de la bête), jusqu’au gibet seigneurial de l’abbaye, où les valets du bourreau l’enfouirent sous la potence avec le corps du chien. Voilà comme on procédait alors contre les suicides, mais comme il y avait déjà quelques germes d’hostilité contre les autorités ecclésiastiques, les frondeurs et les esprits forts du Cotentin prétendirent que le sorcier de Montivilliers n’aurait pas dû être traîné sur la claie comme un suicide, et que c’était lui avoir fait injure et injustice, attendu, certaine-