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SOUVENIRS

rien de tel que les paysans normands pour avoir peur des voleurs et pour ne vouloir jamais s’exposer à leur poursuite et à leur ressentiment — y sont comme une légion d’Saatans ! y sont anescouâdés ; j’nôsrions point les asticoter ; nos pon-miers sont en pleine terre et nos mésons coucheue d’hors ! voilà ce qu’ils chantaient pour répondre aux sommations du Sénéchal de Montivilliers, et l’on n’en trouva pas un qu’on pût décider à faire le guet ou la patrouille pendant la nuit. En attendant, ma tante reçut une lettre du Procureur-général de Normandie, qui la prévenait de se tenir en garde, et qui lui parlait de la découverte d’un projet de complot dirigé contre la caisse ou la sacristie du couvent. L’intendant de Rouen nous envoya une brigade de maréchaussée pour nous garantir des voleurs, ce qui fut bien malheureux pour Mademoiselle d’Houdetôt qui s’était éprise d’une tendre passion pour le brigadier, car on la renvoya chez ses parens, où elle reçut, nous dit-on, de fameux coups de crosse.

L’esprit contumacier, cauteleux, la finesse entortillée de ces paysans de Normandie ne me sont jamais sortis de l’esprit : avec leur accent traînant et sournois, on dirait toujours qu’ils dissimulent et qu’ils ergotent : il me semble encore les entendre parler de surgits, de cauquets, d’exploits signifiés et de témoins-gnages. Ils sont régis par d’étranges coutumes, à la vérité ! Quand un paysan du voisinage a l’envie de vous escamoter une haie, par exemple, il arrive de nuit avec deux témoins, ce qui n’est pas difficile à trouver en Normandie ; il y coupe un arbre, sur votre fossé ; on l’enterre ou