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SOUVENIRS

grande abbaye, des vases sacrés et des reliquaires, des dyptiques et des manuscrits du moyen âge, ainsi que des joyaux gothiques et des paremens d’autel d’une richesse et d’une curiosité merveilleuses. En m’informant, ou pour mieux dire, en m’affligeant de ce qu’on les eût anéantis pendant la révolution, j’appris avec étonnement que les gens du pays s’étaient bien gardés d’en détruire la moindre chose. Ils s’étaient partagé toutes ces richesses après les avoir soustraites aux autorités révolutionnaires, ensuite ils en firent une pacotille qu’ils expédièrent aux colonies espagnoles et portugaises, où toute la cargaison s’est très-bien vendue. Dans aucune autre province de France, on ne se serait avisé d’une combinaison pareille ; et presque partout ailleurs, on a tout brisé sans aucun profit pour les propriétaires ou les spoliateurs. Au reste, Messieurs les Anglais avaient fait absolument la même chose à l’époque de leur prétendue réformation religieuse ; ils ne détruisirent, en fait d’images et d’objets de notre culte, que ce qu’ils ne pouvaient transporter en France, en Espagne, en Italie et dans tous les autres pays catholiques, où ils établirent des bazars de crucifix et de toutes sortes d’ornemens d’église. Ils avaient même eu la précaution de conserver et de nous apporter les Dateries-bullaires et les Authentiques de Rome, qui s’appliquaient aux reliques qu’ils nous vendirent dans le diocèse du Mans. (On ne leur permettait pas d’exposer en vente les calices ni les ostensoirs, non plus que les patènes et les saints-ciboires, à ce que j’ai vu dans mon vieux Corroset.) Les Normands sont toujours animés d’un esprit de