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SOUVENIRS

répression de quelques abus à l’intérieur ; et de plus, elle avait à défendre au dehors l’indépendance de sa juridiction monastique, ainsi que les droits féodaux de son siège ; ce dont elle s’acquittait avec conscience et vigilamment. Enfin, comme elle ne voulait pas avoir la fatigue et la responsabilité de faire surveiller des pensionnaires, elle n’admettait dans son abbaye que ses parentes, et je n’avais pour compagnes que les deux sœurs du Duc d’Harcourt, dont l’une a épousé le Comte de Créquy-Cléry, et dont l’autre est devenue Visitandine à Caen. L’aînée, Mademoiselle de Beuvron, était une aimable et jolie personne, à qui j’espère que son mari n’aura pas rendu justice, en la faisant emprisonner par lettre de cachet. La cadette, qu’on appelait Mademoiselle de Châtellerault, n’était pas à beaucoup près aussi gracieuse que sa sœur. Lorsque j’appris long-temps après qu’elle venait de mourir en odeur de sainteté, j’en fus surprise et je n’ai pas demandé de ses reliques. Il y avait, en outre, à l’abbaye, une couvée de Demoiselles d’Houdetot, qui étaient toujours habillées en même étoffe de serge de la même couleur, et qui se tenaient toujours disposées comme les tuyaux d’un buffet d’orgues, en rang d’âge et par étage de taille ; mais comme elles étaient des orgueilleuses qu’on élevait par charité, et surtout comme elles étaient des sottes, on ne les admettait presque jamais dans la petite cour de Madame, et je n’avais aucune relation familière avec elles. Mademoiselle de Châtellerault disait que c’étaient les œuvres de la mère Gigogne, en sept volumes, et l’Abbesse avait appris qu’elles passaient régulièrement deux ou trois heures par jour