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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

me demanda quel était mon âge ; et quand je lui répondis naturellement que je n’en savais rien, il me dit avec un grand sérieux qu’il ne fallait jamais, se moquer de son frère aîné. Le Marquis resta huit jours à l’abbaye pour assister au sacre de ma tante, qui venait de quitter son monastère de Cordylon, diocèse de Bayeux, pour venir succéder à la Princesse Marie de Gonzague au gouvernement de cette noble et puissante église de Montivilliers, qui ne compte pas moins de cent vingt-huit clochers seigneuriaux, soumis à sa crosse et relevant de sa tour suzeraine. Après la Princesse de Guémenée, la Marquise de Nesle, et l’Abbesse de Fontevrault, l’Abbesse de Montivillîers est assurément la plus grande dame de France !

C’était notre oncle du Mans qui vint consacrer sa sœur, et je fonctionnai d’office à la cérémonie, en y portant, sur un carreau de satin violet, le Missel de Madame. Mon frère me donna la preuve de son excellent cœur, en m’assurant, avec un air de bonté naïve et de résolution déterminée, pourtant, que si je ne voulais pas être Bénédictine, il ne souffrirait jamais qu’on m’y forçat. — Hélas ! répondis-je, est-ce qu’on pourrait vouloir que je fusse Bernardine ? il me semble que j’en mourrais de chagrin ! Il n’est rien de tel que l’ordre de Saint Benoît, et je ne veux jamais entrer dans aucune autre congrégation que celle de Cîteaux ! — Mais ce n’est pas de cela qu’il est question, répliqua-t-il, et je pensais que vous aimeriez peut-être autant vous marier ?… C’est une supposition qui me parut assez déraisonnable, et qui pourtant me revint souvent à l’esprit, à cause de cela, peut-être ?