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SOUVENIRS

de la Reine Marguerite. Il paraît que le Comte de Tessé avait été le serviteur passionné de cette reine des fleurs d’automne, laquelle avait au moins vingt ans de plus que lui, ce que son fils nous expliquait galamment et discrètement à la manière de Brantôme et du Décaméron de l’autre Marguerite, en nous enjoignant de n’en jamais parler qu’entre nous, afin de ne pas obscurcir la gloire et compromettre la réputation de la première femme d’Henri IV[1].

En dehors de ce qui s’était passé dans sa famille, mon oncle ne savait aucune chose et ne se souvenait de rien qui fût arrivé depuis l’année 1690 ; de sorte qu’il ordonnait qu’on alla demander, par exemple,

  1. Voici des vers élégiaques qui sont peu connus, et que La Monnoye s’est avisé d’attribuer au Père Desportes, Aumônier de la Reine Marguerite ; mais je tiens du Duc de la Vallière et du Marquis de Paulmy qu’ils ont été composés par elle-même, ainsi qu’il appert d’un manuscrit de la bibliothèque de Paulmy, où l’on voit des ratures avec plusieurs variantes et des corrections, écrites de la propre main de cette aimable et spirituelle Princesse.

    Cette brillante fleur de l’arbre des Valloys.
    En quy mourut le nom de tant de puissans Roys !
    Marguerite, pour qui tant de lauriers fleurisrent,
    Pour qui tant de bouquets chez les Muses se fisrent,
    A veu fleurs et lauriers sur sa teste seicher,
    Et par un coup fatal les Lys s’en destacher.
    Las ! le cercle royal dont l’avoist couronnée,
    En tumulte et sans ordre, un trop prompt hymenée,
    Rompu du mesme coup, devant ses pieds tombant,
    L’a layssée comme un arbre écymé par les vents.
    Espouse sans espoux, et royne sans royaulme,
    Vaine ombre du passé, triste et noble fantosme.
    Elle a traisné depuis les restes de son sort,
    Et veu jusqu’à son nom périr advant sa mort.

    (Note de l’Auteur.)