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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

mois, sans recevoir aucune nouvelle de sa famille, de ses amis, ni de ses gens d’affaires, il n’avait appris la mort de ma pauvre mère qu’en débarquant au château de Versailles, où le Maréchal de Tessé, son oncle, lui conseilla discrètement de s’aller mettre en deuil. On a calculé par après, mais à peu près, que ma naissance devait avoir eu lieu dans les derniers jours de l’an 1699, ou dans le courant de l’année suivante, ou dans les premiers jours de 1701 ; mais c’était une supputation qui n’importait guère à mon père, attendu que la notoriété publique et la possession d’état suffisaient toujours, me disait-il ; et du reste, il ne s’agissait que d’une fille !…

Tout ce que je me rappelle de ma première enfance, c’est qu’on m’avait logée dans une tourelle du château de Montflaux, où j’avais grand froid l’hiver et grand chaud l’été. On m’avait donné pour me soigner et me servir, deux femmes avec un vieux laquais borgne, et j’avais une telle frayeur de cet homme-là, qu’on l’empêchait d’entrer dans mon appartement. L’intendant de mon père imagina de le remplacer par un mulâtre, et je crois véritablement qu’il avait médité de me donner des convulsions et qu’il avait entrepris de me faire mourir au profit de mon frère. Au lieu de cela, c’est moi qui suis devenue son héritière, et c’est le cas d’observer que l’homme propose et Dieu dispose.

Ma famille se composait alors d’une religieuse, sœur unique de mon père, et de ses frères, au nombre de quatre. C’est à savoir de M. l’Évêque du Mans, qui était un digne et saint Prélat (il avait refusé d’abandonner son siége du Mans, pour de-