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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

genson. Vous voyez que si les fidèles sujets du Roi Jacques III éprouvaient des inquiétudes, ils avaient, d’assez bonnes raisons pour cela.

Cependant le Chevalier de Saint-Georges avait trouvé moyen d’arriver à Paris, et vint coucher à l’hôtel de Breteuil, où nous eûmes l’honneur de lui faire la révérence. C’était un beau Prince infiniment poli ; il n’avait pas l’air d’avoir alors plus de 25 à 26 ans ; mais il était déguisé en abbé, ce qui déplut souverainement à ma cousine Émilie. Le Prétendant nous adressa quelques paroles de compliment, et rentra tout de suite après dans le cabinet de mon oncle, où les conférences durèrent une partie de la nuit. Dès le point du jour, il était parti pour Chaillot, où la Reine sa mère était venue l’attendre au couvent de la Visitation. Il alla coucher dans une petite maison que le vieux Duc de Lauzun gardait on ne sait pourquoi dans ce village, et vingt-quatre heures après il monta dans une chaise de poste aux armes de mon oncle. Il était accompagné par quelques gentilshommes à cheval à qui l’on avait fait endosser la livrée de Breteuil.

En arrivant à l’entrée du village de Nonancourt, qui n’est qu’à vingt lieues de Paris, la chaise de poste fut accostée par une femme dont la figure était des plus honnêtes et des plus troublées. Elle était montée sur le marche-pied de la voiture qu’elle avait fait arrêter ; elle dit à voix basse au Prétendant qu’il était perdu s’il allait descendre à la poste, où on l’attendait pour l’assassiner. Elle le supplia, les larmes aux yeux, de se confier en elle. — Il faut que vous soyez le Roi Jacques, ajouta cette femme.