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SOUVENIRS DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

question de me retenir dans une chambre où l’on attendait S. M. qui ne pouvait manquer d’y prendre garde à moi. Ce monarque arriva bientôt sans être annoncé nul-autrement que par l’ouverture des deux battans de toutes les portes, et par l’entrée d’un gentilhomme ordinaire qui précéda S. M. de deux à trois minutes, et qui vint faire une inclination profonde à Madame de Maintenon sans lui parler, comme on fait pour annoncer aux personnes royales que leur table est servie. Madame de Maintenon fut à cinq ou six pas au-devant de S. M. qui paraissait marcher péniblement, et qui pourtant salua Madame de Maintenon de fort bonne grâce.

— Voilà, dit-elle, une Demoiselle que j’ai pris la liberté de garder ici pour la présenter au Roi. Il n’est pas besoin de la lui nommer.

— Je dois penser, répondit le Roi, qu’elle est arrivée céans quant-et-ma filleule, il y a comme alliance ou parenté spirituelle entre Mademoiselle et moi, mais nous sommes pareils encore d’une autre façon, poursuivit-il en me regardant comme s’il avait dit et je l’en félicite !

— Je demande au Roi la permission que vous baisiez sa main, dit ma grand’mère, avec un air de sollicitude importante, mais qui n’avait pourtant rien de suppliant ni d’obséquieux.

Le Roi me tendit sa main, la paume en dessous, comme s’il me l’avait offerte pour la baiser ; mais ce fut pour la refermer prestement, en saisissant la mienne qu’il daigna porter jusqu’à ses lèvres, et qu’il eut ensuite la bonté, la politesse exquise, ou si vous voulez la galanterie (car je ne saurais comment