Page:Créquy - Souvenirs, tome 1.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

tomber dans le grotesque une illustration de famille et des souvenirs historiques, qui naturellement n’auraient jamais abouti dans le ridicule, en vérité ! Le petit Prince de Mecklembourg avait fait son possible pour l’épouser. — Allons donc ! sacrifier sa liberté ! c’était comme la belle Arsène. Elle avait eu de son Prince grec environ quatre à cinq millions de livres tournois en belles et bonnes espèces, qu’elle n’avait jamais voulu placer. On n’a trouvé rien qui vaille après sa mort ; et vous allez voir comment elle employait son argent.

Elle avait loué pour elle toute seule l’ancien hôtel de Blanchefort, rue Saint-Antoine, auprès de la Bastille ; et tous les soirs, elle faisait éclairer de la cave au grenier, cet immense et vieux palais dont elle ne sortait pas dix fois par an, et où l’on ne voyait jamais entrer âme qui vive, ce qui faisait dire à ses voisins les faubourgeois qu’on y tenait le Sabbat. Elle ne recevait jamais que Mme de Bullion (d’Esclimont), qui était une autre folle, et puis le Chevalier Turgot, parce qu’il était son filleul. C’est lui qui nous a conté ce que j’en rapporte ici.

En premières lignes de son livre de comptes, elle avait fait racheter en Barbarie au moins deux mille captifs chrétiens, mais toujours des Levantins et jamais des Francs. Les Révérends Pères de la Merci ne voulaient pas se charger du rachat des Grecs schismatiques, en disant avec raison que leurs vœux les astreignaient à l’obligation de s’occuper avant toute chose de la rédemption de nos frères, et que la tâche excédait déjà leurs force et puissance.