Page:Créquy - Souvenirs, tome 1.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
135
DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

hommes, avait osé dévaliser le Cardinal de Gèvres, qui s’en retournait à Bourges[1].

Il se trouva, de compte fait, qu’on ne lui avait pris que sa croix pectorale et son anneau pontifical, dix louis qu’il avait dans sa bourse, un pâté de rouges-gorges qu’il emportait dans son diocèse, et, de plus, deux flacons de vin de Tokay qu’il avait gagnés à mon oncle, en jouant au piquet contre lui. Il est bon de vous dire que le Cardinal de Gèvres était très gourmand et prodigieusement scrupuleux (pour un gourmand). Il ne voulait jamais jouer pour de l’argent, dans la crainte de perdre celui qu’il appelait en bonne conscience et avec toute justice le bien des pauvres. Il ne voulait acheter ni des vins superfins, ni des primeurs ; mais il ne se faisait aucune difficulté pour en gagner au jeu ; de sorte qu’il jouait au piquet pour un litron de petits pois de serre chaude, ou pour un flacon de vin de

  1. Léon-Charles Potier de Gèvres, Cardinal, Archevêque de Bourges, Patriarche et Primat d’Aquitaine.

    Ne le confondez pas avec son neveu le Cardinal Étienne de Gèvres, Évêque de Beauvais, Comte et Pair de France, en cette qualité.

    Celui que nous appelions le Patriarche, pour le distinguer de son neveu l’Évêque de Beauvais, s’était démis de son archevêché de Bourges par excès d’humilité chrétienne ; il a fini par se retirer au monastère de Saint-Rémy de Reims, dont il était Abbé-Commandataire, et où il se crut obligé de faire maigre le restant de ses jours pour se conformer à la règle de la communauté, qui est de l’ordre de St. Benoit. C’est ainsi qu’il se punit de ses petites sensualités, qui n’avaient scandalisé personne.

    (Note de l’Auteur.)