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SOUVENIRS

les hauts cris parce que le Maréchal d’Écosse devait être protestant ! Je n’en avais pas eu l’idée ! Ce fut une révélation subite et si poignante pour moi que je n’y saurais penser, encore aujourd’hui, sans frémissement et sans compassion pour la souffrance qu’elle me fit éprouver. On apprit qu’il était calviniste : il le dit lui-même, et le ciel est témoin que je n’éprouvai pas alors une minute d’hésitation. Je refusai la main de Milord-Maréchal, et deux jours après, il était reparti pour son pays, où sa douleur et ses entreprises inspirées par le désespoir, écrivait-il à ma bonne tante, avaient eu pour effet de le faire condamner à l’échafaud. Voilà, mon cher enfant, la seule inclination de ma vie qui n’ait pas été pour M. de Créquy, avec qui, du reste, j’ai eu la bonne foi d’en causer en toute sincérité.

Lorsque nous nous sommes revus, le Maréchal et moi, après tant d’années de séparation et d’apparent oubli, nous fîmes une découverte dont nous fûmes tous deux également surpris et touchés. Nous n’avions jamais cessé de penser l’un à l’autre ; nos cœurs avaient été si profondément pénétrés, qu’ils en étaient restés remplis d’un sentiment douloureux d’abord, et puis infiniment doux. Il paraît que, pour aimer à tout jamais, il n’est rien de tel que de s’être aimé véritablement et d’en être restés là. On n’avait pas eu le temps de montrer ses défauts, on n’a pas souffert des imperfections l’un de l’autre ; on est resté réciproquement dans une illusion que l’expérience n’a pu détruire ; on s’est complu dans une idée de perfection qui vous sourit toujours avec une douceur ineffable ; et quand on vient à se retrouver ensemble