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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

la saison des fraises… Il a eu le bonheur d’y parvenir 99 fois, et c’est à l’usage des fraises qu’il a toujours rendu grâces de sa longévité. Je pourrais vous citer une foule de choses charmantes à propos de Fontenelle ; mais on les a déjà recueillies, et je tâcherai toujours de ne vous rapporter rien de ce que vous pourrez avoir appris par ailleurs. Je vous dirai seulement une anecdote que Voltaire répétait souvent, et que Fontenelle racontait aussi, ce qui est d’une autre autorité pour moi que celle de Voltaire. La Fontaine étant bien malade et venant de recevoir ses derniers sacremens, demandait à sa bonne amie, Mme Coruel (c’est la même dont parle Mme de Sévigné), s’il ne serait pas convenable et bien à propos qu’il se fit porter sur un tombereau, en chemise et les pieds nus, avec la corde au cou, jusque devant le portail de Notre-Dame, où il serait censé faire amende honorable pour ses contes ? — Il faudra seulement me trouver quelqu’un pour porter ma torche, car je n’aurai pas la force de la soutenir, et j’aimerais assez que ce fût un des grands laquais de notre voisin le Président Nicolay ? — Tenez-vous tranquille et mourez tranquille, mon bon homme, lui répondait la vieille Cornuel. Vous avez toujours été bête comme une oie. — C’est bien vrai, reprenait La Fontaine, et c’est bien heureux pour moi ! J’espère que le bon Dieu va me faire miséricorde à cause de cela. Ne manquez pas de dire à tout le monde que j’ai péché par bêtise et non par malice ; ce sera toujours moins scandaleux, n’est-il pas vrai ? — Veux-tu bien me laisser tranquille et mourir en paix ! s’écriait l’autre… Le Chevalier de