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SOUVENIRS

dont la vanité ne s’étalait que sur des grosses de notariat, disait toujours que l’équipage de sa belle-sœur avait l’air d’une fête de Pâques, et du reste il ajoutait régulièrement 24 mille francs d’étrennes aux 56 mille francs qu’il avait à lui payer pour son douaire et son préciput. Elle avait sept femmes de chambre, dont une ou deux la veillaient toujours pendant la nuit, afin de la préserver des apparitions et de la défendre contre les revenans. De toutes les peureuses que j’ai connues, c’était certainement la plus susceptible d’effroi. On ne l’aurait pas fait rester toute seule dans la garderobe de sa sœur, parce qu’il y avait sur le parquet une peau de tigre dont elle avait une frayeur mortelle. Ladite Comtesse de Breteuil ne mangeait pour tout potage à son déjeûner et son dîner qu’une panade à l’orgeat, et jamais elle ne soupait chez elle, ce qui fait qu’elle avait plus de fortune à dépenser qu’il ne lui fallait raisonnablement. Mais ceci ne la consolait point de ne pouvoir aller faire sa cour à Versailles ; aussi finit-elle à quarante-sept ans par épouser le vieux Marquis de la Vieuville, attendu qu’elle en devait obtenir les entrées du cabinet, parce qu’il avait été Chevalier d’Honneur de la feue Reine Marie-Thérèse ; voilà ce qui la décidait, nous disait-elle, et j’imaginai que les soixante mille écus de rente du vieux Marquis n’y gâtaient rien. C’était un des cœurs de femme les plus secs, une des cervelles les plus arides et des têtes les plus vides dont j’aie entendu résonner le creux.

Ma cousine Émilie, qu’on appelait alors Mademoiselle de Preuilly, et non pas Mademoiselle de