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mer à côté de Leconte de Lisle, c’est Ernest Renan. Malgré la diversité qui les sépare, tous les esprits clairvoyants sentiront cette comparaison. Dans le poëte comme dans le philosophe, je trouve cette ardente mais impartiale curiosité des religions, et ce même esprit d’amour universel, non pas pour l’humanité prise en elle-même, mais pour les différentes formes dont l’homme a, suivant les âges et les climats, revêtu la beauté et la vérité. Chez l’un non plus que chez l’autre, jamais d’absurde impiété. Peindre en beaux vers, d’une nature lumineuse et tranquille, les manières diverses suivant lesquelles l’homme a, jusqu’à présent, adoré Dieu et cherché le beau, tel a été, autant qu’on en peut juger par son recueil le plus complet, le but que Leconte de Lisle a assigné à sa poésie.

Son premier pèlerinage fut pour la Grèce ; et tout d’abord ses poëmes, écho de la beauté classique, furent remarqués par les connaisseurs. Plus tard, il montra une série d’imitations latines, dont, pour ma part, je fais infiniment plus de cas. Mais pour être tout à fait juste, je dois avouer que peut-être bien le goût du sujet emporte ici mon jugement, et que ma prédilection naturelle pour Rome m’empêche de sentir tout ce que je devrais goûter dans la lecture de ses poésies grecques.

Peu à peu, son humeur voyageuse l’entraîna vers des mondes de beauté plus mystérieux. La part qu’il a faite aux religions asiatiques est énorme, et c’est là qu’il a versé à flots majestueux son dégoût naturel pour les choses transitoires, pour le badinage de la vie, et son amour infini pour l’immuable, pour l’éternel, pour le divin Néant. D’autres fois, avec une soudaineté de caprice apparent, il émigrait vers les neiges de la Scandinavie et nous racontait les divinités boréales, culbutées et dissipées comme des brumes par le rayonnant enfant de la Judée. Mais quelles que soient la majesté d’allures et la solidité de raison que Leconte de Lisle a développées dans ces sujets si divers, ce que je préfère parmi ses œuvres, c’est un certain filon tout nouveau qui est bien à lui et qui n’est qu’à lui. Les pièces de cette classe sont rares, et c’est peut-être parce que ce genre était son genre le plus naturel, qu’il l’a plus négligé. Je veux parler des poëmes, où, sans préoccupation de la religion et des formes successives de la pensée humaine, le poëte a décrit la beauté, telle qu’elle posait pour son œil original et individuel ; les forces imposantes, écrasantes de la nature ; la majesté de l’animal dans sa course ou dans son repos ; la grâce de la femme dans les climats favorisés du soleil, enfin la divine sérénité du désert .ou la redoutable magnificence de l’Océan. Là Leconte de Lisle est pour