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268 DIX —NEUVIÈME SIÈCLE.

Victor Hugo sait traduire pour l’âme humaine non-seulement les plai sirs les plus directs qu’elle tire de la nature visible, mais encore les sensations les plus fugitives, les plus compliquées, les plus morales (je dis exprès sensations morales) qui nous sont transmises par l’être visible, par la nature inanimée, ou dite inanimée ; non-seulement la figure d’un être extérieur à l’homme, végétal ou minéral, mais aussi sa physionomie, son regard, sa tristesse, sa douceur, sa joie éclatante, sa haine répulsive, son enchantement ou son horreur ; enfin, en d’autres termes, tout ce qu’il y a d’humain dans n’importe quoi, et aussi tout ce qu’il y a de divin, de sacré ou de diabolique.

Ceux qui ne sont pas poëtes ne comprennent pas ces choses. Fourier est venu un jour, trop pompeusement, nous révéler les mystères de l'analogie. Je ne nie pas la valeur de quelques-unes de ses minutieuses découvertes, bien que je croie que son cerveau était trop épris d’exac titude matérielle pour ne pas commettre d’erreurs et pour atteindre d’emblée la certitude morale de l’intuition. Il aurait pu tout aussi pré cieusement nous révéler tous les excellents poëtes dans lesquels l’hu manité lisante fait son éducation aussi bien que dans la contemplation de la nature. D’ailleurs Swedenborg, qui possédait une âme bien plus grande, nous avait déjà enseigné que le ciel est un très-grand homme ; que tout, forme, mouvement, nombre, couleur, parfum, dans le spirituel comme dans le naturel, est significatif, réciproque, converse, correspondant. Lavater, limitant au visage de l’homme la démonstration de l’universelle vérité, nous avait traduit le sens spirituel du contour, de la forme, 4e la dimension. Si nous étendons la démonstration (nonseulement nous en avons le droit, mais il nous serait infiniment difficile de faire autrement), nous arrivons à cette vérité que tout est hiérogly phique, et nous savons que les symboles ne sont obscurs que d’une manière relative, c’est-à-dire selon la pureté, la bonne volonté ou la clairvoyance native des âmes. Or, qu’est-ce qu’un poëte (je prends le mot dans son acception la plus large), si ce n’est un traducteur, un déchiffreur ? Chez les excellents poëtes, il n’y a pas de métaphore, de comparaison ou d’épithète qui ne soit d’une adaptation mathématique ment exacte dans la circonstance actuelle, parce que ces comparaisons, ces métaphores et ces épithètes sont puisées dans l’inépuisable fonds de l'universelle analogie, et qu’elles ne peuvent être puisées ailleurs. Maintenant, je demanderai si l’on trouvera, en cherchant minutieuse ment, non pas dans notre histoire seulement, mais dans l’histoire de tous les peuples, beaucoup de poëtes qui soient, comme Victor Hugo,