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GILBERT


1751 — 1780



On aurait bien peu de chose à dire sur Gilbert, si, par suite d’une erreur qui dure depuis trop longtemps, les anticlassiques de notre époque ne l’avaient représenté à la fois comme un romantique, un saint et un martyr. L’histoire littéraire a ses légendes ainsi que l’histoire religieuse : c’est M. Alfred de Vigny qui a consacré la légende de Gilbert, le Chatterton français. Tous les ennemis de la philosophie et de la littérature du xviiie siècle ont répété après lui que le poète de Fréron avait été la victime des philosophes, comme André Chénier avait été la victime des révolutionnaires. Quelques jolies stances de l’Ode imitée de plusieurs psaumes,

J’ai révélé mou cœur au Dieu de l’innocence…
Au banquet de la vie infortuné convive…


ont suffi pour démontrer ce prétendu meurtre d’un homme de génie, froidement accompli par les encyclopédistes. Ce pauvre Gilbert a tellement répété sur tous les tons son fameux cri : « Je meurs » que les bonnes âmes romantiques et catholiques ont fini par crier ensemble à l’assassin I Eh bien, le moment est peut-être venu de le déclarer sans passion : cette accusation d’homicide est un rêve ; il n’y a pas eu autre chose, en vérité, que le suicide d’un vaniteux et d’un impuissant ; soyons plus charitable, d’un fou. La mort de Gilbert à l’Hôtel-Dieu peut exciter un mouvement de généreuse pitié, mais elle ne laisso aucun prétexte à la sainte colère de3 lyriques et des dévots. André Chénier, à sa dernière heure, était bien fondé à dire en se frappant le front : « Il y avait quelque chose làl » mais dans la tète de Gilbert,