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LE MIERRE


1733 — 1793



Au xviiie siècle, les versificateurs abondent, mais les vrais poètes sont rares. Antoine-Marin Le Mierre fut un vrai poëte ! Que ses contemporains et ses rivaux l’aient méconnu et mal jugé, rien n’est plus naturel assurément, et rien n’est plus facile à comprendre. Il tranchait par sa nouveauté, un peu crue, sur le vieux fond terni de la littérature académique. Comme il était rude, inégal, chercheur, quelquefois trop lumineux et quelquefois trop obscur ; comme ses effets d’harmonie, souvent inattendus, contrariaient la musique toute ronde des vers d’école ; comme il était dramatique et pittoresque d’expression, au lieu d’imiter les didactiques et les descriptifs ; comme il se montrait enfin singulier et personnel, on le déclara ignorant et barbare : Le Mierre, tout barbare qu’il pût être, n’en avait pas moins, dans sa poésie, quelques-uns des caractères qui révèlent les précurseurs. Ce génie inquiet, anguleux, fragmentaire, si l’on veut, mais incontestable, n’a pas même encore obtenu justice de notre temps, puisque M. Charles Labitte, un critique de la Revue des Deux Mondes, a pu, sans hésitation, écrire les lignes suivantes : « Il fut— l’un des derniers représentants de cette école froide et sentencieuse qui fit de l’héroïde avec Colardeau, du bel esprit avec Desmahis et Dorât, de la poésie descriptive avec Saint-Lambert et Roucher, école où l’étude des formes et du mécanisme était tout et l’inspiration poétique presque rien ; école de tirades et de traits, et qui, prenant dans le talent de l’abbé Delille un essor plus élevé, atteignit là sa perfection » Le Mierre comparé à Colardeau, à Desmahis, à Dorât, à Roucher, à Saint-Lambert ! Le Mierre, le pittoresque, humilié devant Delille, le descriptif ! une pareille méprise, et je dirai même une telle irrévérence semblera incroyable aujourd’hui