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POÉSIES DE BERNIS.

où Bernis est assez finement caractérisé, pour qu’il soit à propos d’en citer les derniers vers. Nous n’avons plus affaire à Babet, vraiment : o muse de l’abbé devient tout à coup une Célimène poudrée.

Ta muse est l’adroite coquette
Qui sait placer un agrément,
Faire jouer un diamant ;
Femme adorable, un peu caillette,
Toujours en habit arrangé,
Possédant l’art de la toilette,
Et redoutant le négligé.

Dans ces quelques traits rassemblés, n’aurions-nous pas recueilli, en quintessence, le sentiment général des contemporains du poëte ?

Le nôtre, à nous postérité, diffère-t-il, en quelques points de celui qu’ils ont si précisément exprimé ? Ne retrouvons-nous pas, comme eux, dans l’œuvre mièvre de Bernis, cette profusion d’images convenues, cette incohérente abondance, cette miroitante coquetterie qui aboutissent vite à impatienter la pensée ? Ne sommes— nous pas plus glacés qu’ils ne l’étaient sans doute de cette absence absolue d’émotion vraie, qui fait que toutes ces élégances fatiguent, en se jouant à la superficie du cœur ? Pour eux, du moins, à l’heure où s’épanouissaient ces fleurettes dans l’air favorable où elles venaient d’éclore, elles avaient la fraîcheur éphémère, sinon le pénétrant parfum. Nous avons quelque p i ine aujourd’hui à retrouver, dans l’herbier qui les recèle, leur couleur native et leur grâce d’autrefois. Mais il ne faut pas le méconnaître, on trouve un délicat plaisir à noter, en passant, une forme qui s’est maintenue, une nuance qui est restée vive.

Voulons-nous un symbole bien net et frappant de la nature d’imagination et du talent poétique de Bernis ? Il nous l’offre lui-même, pleinement tracé dans quelques pages de prose où, sans s’en douter, assurément, il s’est mis tout entier. Je me garde de les citer ; il suffit, en quelques traits, d’indiquer le petit tableau. Dans cette première moitié du xviiie siècle où florissait Bernis, il était d’assez bon goût de s’extasier sur les charmes de la nature, au fond d’un salon dont personne n’avait envie d’ouvrir la porte pour aller les voir de plus près. Bernis comme un autre, plus qu’un autre peut-être, était un des chevaliers pétrarquisants, amoureux de cette belle dame qu’on aimait de loin. Il se rêve, un matin, assis sur un rocher, à l’heure splendide du soleil levant. La journée tout entière se passe en songeries champêtres,