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POÉSIES DE BERNIS.

C'est Marmontel qui nous l’affirme ainsi, avec un accent un peu amer, qui sent le jaloux, et dont il est à propos de so défier. En tout cas, cette heureuse vogue et ces tendres amitiés do grande dame conduisirent tout doucement, sans plus d’obstacle que d’effort, l’abbé do Bernis à l’Académie. Il avait vingt-neuf ans ; Voltaire en avait cinquante et n’était pas encore un des élus. « Ce fut le premier pas vers une fortune au delà du vraisemblable, » nous dit le président Hénault. Ainsi, d’ailleurs, commençait à se réaliser cette brillante destinée que lui avait prédite, « avec bien des choses surprenantes 1, » une sorcière en réputation h cette époque, la Bontemps.

Cependant, nous n’avons pas dit un mot encore de la belle occasion quo lui ménageait la fortune. On sait combien il sut en profiter. Une fois le pied sur l’échelle dos grandeurs, il monta vite et l’on vit promptement se dégager le souple esprit que contenait ou plutôt voilait lo petit poète. Car il faut bien le reconnaître, — et l’on peut s’en convaincre en étudiant les choses un peu à fond, — s’il y eut bien du bonheur dans cette élévation d’un cadet de Languedoc, devenu ministre et cardinal ; il y eut aussi lo fin savoir-faire de l’homme qui no fut pas un instant dépaysé dans ces hautes régions ; et si, dans des circonstances épineuses, le pouvoir accabla vite cette gracieuse nature, elle sut du moins plus tard se montrer, en toute convenance, de niveau avec de suprêmes dignités.

L’heureuse occasion dont il convient de consigner ici la date, la source de toutes ces grandeurs tout à coup survenues, ce fut la franche amitié de madame de Pompadour. Jusqu’à ce moment, fêté partout pour sa séduisante légèreté, sa bonne humeur et ses jolis vois, Bernis, petite gloire mondaine, avait bien peu, ce nous semble, éveillé le regard de l’envie ; il vivait chez les grands comme un hôte aimable, mais il était toujours dans une pauvreté qu’il savait porter d’ailleurs avec la plus galante insouciance ; jusqu’alors on est tout tenté de croire qu’il était sans ennemis. Les faveurs do cour qui se succédèrent si rapidement rendirent tout d’un coup l’attention plus sérieuse, a-dire plus sévère. On examina plus rigoureusement la valeur de l’homme ; on compta vite, avec un sourire moins bienveillant, ses légers titres de poésie. Pourtant Bernis n’était encore qu’au début de cette carrière de prospérités, qui vint surprendre et sans doute aigrir d’anciens compagnons de poésie et de plaisir, que le sort, sou-

1 Mémoires de madame Du Hausset.