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LOUISE LABÉ

1526 — 1566

Pour juger Louise Labé, la belle cordière, il ne faudrait pas se fier au témoignage de Du Verdier, de Bayle, de Calvin, de La Monnoye. Ces contempteurs du génie féminin prêtent volontiers l’oreille aux calomnies de l’histoire. Ils transforment sans scrupule en courtisane la pauvre âme amoureuse, et la chevaleresque héroïne en vagabonde, et l’ardente élégiaque en vulgaire bacchante. Plutôt que de les écouter, je me soumettrais avec charme à l’autorité de la tradition populaire qui a fait de l’élève de Maurice Scève l’Héloïse de Lyon, et je partagerais l’enthousiasme naïf de ces gardes nationaux de 93, qui mirent sur leur drapeau l’image de la belle cordière, comme si elle eût été une Jeanne Hachette ou une Pucelle d’Orléans.

Les Chrysale de tous les temps, philosophes de boutique et moralistes du coin du feu, auront beau jeter les hauts cris dans le patois de Martine, nous n’en aimerons pas moins, en les plaignant, ces belles passionnées qui rompent leur chaîne à leurs risques et périls, victimes entraînées ou volontaires du triple délire poétique, amoureux, héroïque. Depuis la grande Sapho jusqu’à notre contemporaine Delphine Gay, ces chasseresses de gloire, ces possédées d’enthousiasme, ces nobles amazones du monde imaginaire et idéal, nous apparaissent dans les cadres dorés de la légende comme de brillantes magiciennes tuées par leurs propres enchantements. Rien de plus navrant que leur destinée, rien de plus saisissant que leur profond sourire. Elles ont rêvé le merveilleux, l’héroïque, l’impossible, ces créatures de sentiment et d’imagination ; et les voilà toutes expiant leur rêve par le plus cruel désespoir. L’impitoyable humanité martyrise en elles la folie angélique ou diabo-