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GILLES DURANT


1554 — 1614



Notre passé littéraire abonde en poètes peu connus chez qui, lorsqu’on les étudie avec attention, on découvre de ces qualités primesautières qui semblaient devoir les mettre au premier rang, et leur faire occuper dans le souvenir de leurs compatriotes une place plus importante que celle qu’ils y tiennent. Tantôt c’est une hardiesse de tours que seuls ils ont tentée, tantôt c’est un accent nouveau, accent attendri ou fier, un ton sur lequel ils ont chanté dans un moment unique d’inspiration, une note qui se perd, s’évanouit, que leurs successeurs ne retrouvent plus.

Il semble que, pour cette raison même, de tels poëtes nous devraient être plus précieux. Certes, il a mérité sa renommée, celui qui a tenté et accompli une réforme importante dans l’art des vers, qui a enrichi la langue poétique, qui, par des emprunts faits aux langues mortes, a doté la langue française d’épithètes vives en couleurs, éclatantes, neuves, frappantes. Il n’a pas non plus volé sa gloire celui qui, préoccupé de l’harmonie, amoureux de l’ordre et du logique enchaînement des idées, a appliqué son talent à une réforme d’un autre genre, qui, à tort ou à raison, a voulu modérer les excès de l’imagination, brider la fantaisie, mettre l’art dans une voie plus sûre, plus régulière, moins encombrée d’obstacles. La première tentative fut la gloire de Ronsard ; c’est à l’autre réforme que Malherbe dut sa renommée. Mais n’est-ce pas une injustice que de dédaigner, de laisser s’anéantir à jamais dans l’oubli un poëte qui n’a été ni voulu être, de sa vie, un réformateur, encore moins un législateur, qui s’est contenté d’être poëte à ses heures, au gré et à la merci de son inspiration, parlant la langue qu’il