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littéraire, c’est la persistance que mettent nos poëtes à cultiver les Muses dans leurs plus grandes détresses. Ce sont de hardis compagnons, ces érudits de la Renaissance ; leur indignation jamais ne va sans poésie, et rien, pas même la pensée de l’exil, ne peut faire oublier à ces chantres de la Renaissance les charmes alternants des dactyles et des spondées. C’est une sainte fureur, un acharnement d’inspiration qui ne se retrouve plus plus tard.

Nous avons annoncé Nicolas Rapin homme de parti ; il faut le voir d’abord brave soldat, sous Henri IV ; il combattait à Ivry, c’est tout dire. Il fit des prodiges de valeur sous les yeux du maréchal d’Aumont, et plus tard, quand il revint à ses vers latins, il eut un bien autre compliment à se faire à lui-même que celui que s’était fait impudemment l’ami de Mécène. Il put se dire qu’il avait bien fait son devoir dans les endroits les plus dangereux, et que même il lui en restait quelque chose, une dureté, un accent sauvage, une note belliqueuse qui résonne dans ses vers.

Enfin, l’occasion et le moment vinrent pour le poëte de dire toute sa pensée indignée aux factieux, aux ambitieux, aux chercheurs de couronnes, aux hypocrites et aux démagogues. Rapin rentra dans Paris. Alors se fit la Ménippée. Il y inséra pour sa part la harangue de M. de Lyon et celle du recteur Rose. Ce sont des chefs-d’œuvre dans un chef-d’œuvre. Il y mit aussi beaucoup de vers : les plus jolis sont à lui ou à Passerat. On sait mieux ceux qui sont à Passerat que ceux qui sont à Rapin. N’est-ce pas une preuve de sa modestie que cette incertitude même ; et s’il l’eût voulu, n’eût-il pas marqué d’une incontestable empreinte tout ce qui sortait de sa plume ? Mais la Ménippée fut lue avec une incroyable avidité, et réimprimée quatre fois et en grand nombre, en moins d’un mois. La Ligue tomba frappée au cœur par le ridicule. Henri IV put rentrer à Paris et rejoindre Rapin. Que voulait de plus le poëte ?

Les troubles apaisés lui rendirent l’aisance. Il quitta sa charge et se retira à Fontenay, où, comme en un Tibur délicieux et tranquille, il se fit bâtir une maison pour lui, sa femme et ses enfants, dont l’aîné était mort au siège de Paris. Alors, enfin, il fut heureux, alors il laissa couler des vers comme ceux-ci qu’il avait toujours rêvé de pouvoir écrire en paix :

Et moi je vis de mon petit domaine
À peu de train, sans pension du roi,
Faisant des vers, et ne me donnant peine
      De ce qu’on dit de moi.