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JEHAN BOUCHET.


Pour nous il reste le parfait disciple de dame Ennuy. Dans ses vers l’invention est laborieuse, mais sans goût ; la pensée banale, verbeuse, noyée dans la paraphrase ; la forme lourde, pédantesque, monotone. La seule qualité qu’on peut remarquer en lui est toute de métier, et il la partage avec presque tous ses contemporains : c’est la science de bien couper le vers et le soin de la rime. Il n’est point cependant inutile pour l’histoire ; ce bavardage rimé, qui lui était nécessaire dans la distribution de ses éloges, nous apprend mille détails sur lui et sur les écrivains de son temps. Il faut noter surtout, dans son Temple de Bonne Renommée, la transition curieusement et presque ingénieusement marquée entre l’allégorie morale et l’allégorie mythologique. Ce poëme fut composé, si je ne me trompe, en 1518.

En résumé j’ai lu, avec toute bienveillance, plus de soixante mille de ses vers ; j’en pourrais citer quatre ou cinq qui ont du trait, mais il m’a été impossible d’y trouver un passage qui valut la peine d’être reproduit ici.

Parmi les poètes qui se rangèrent volontiers autour de lui nous citerons Pierre Gervaise, Germain Emery, Pierre Rivière {le Recueil des Vertus), François Thibaut [le Débat de l’Esprit amoureux), Jacques Godard (Dialogue deNarcissus et d’Echo ; Déploration de toutes les prinses de Rome), Jean Bresche [l’HonTiéte exercice du Prince ; le Manuel royal) ; enfin François Rabelais, oui, maistre Alcofribas, majestueux en dignité et en sagesse, grave et pesant comme le féal Trouillogan. On ne voit pas dans ses vers l’ombre de ces buveurs très-illustres, ni de ces autres personnages très-précieux. Je ne veux pas dire qu’ils lui portaient bonheur, mais il faut reconnaître que sa poésie ne vaut pas mieux que celle de Bouchot. C’est la même banalité paraphrasée, avec une sorte de recherche des mots vieillis. Il est ravi des escrits tant doulx et melliflus du procureur I^oitevin. L’espèce particulière d’éloges qu’il leur décerne ne laissera pas que d’étonner ceux de nos contemporains qui le vantent à titre de révolutionnaire, comme ceux qui, plus versés dans l’ancienne littérature, se contentent de voir en lui l’humoriste du Moyen-Age, et dans son œuvre un résumé hardi des fabliaux. Voici, en tous cas, ce que le révolutionnaire ou l’humoriste trouve à louer dans notre Traverseur :

Et quant je liz tes œuvres, il me semble
Que j’apercoy ces deux pointz tout ensemble,
Esquelz le prix est donné en doctrine
C’est à sçavoir : doulceur et discipline.