Page:Crépet - Les Poëtes français, t1, 1861.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2
DOUZIÈME SIÈCLE.

Loire jusqu'à Tournai et aux frontières de Flandre, et il conquiert l'Angleterre avec les Normands ; l'autre, qu'on a nommé la langue d'oc, règne au midi de la Loire, depuis le Maine et l'Anjou jusqu'à la Pro- vence. La différence entre le roman du nord et le roman du midi, entre la langue d'oïl et la langue d'oc est très-nettement marquée dans les monuments que nous a transmis le Xe siècle : la cantilène en l'honneur de sainte Eulalie retrouvée dans le manuscrit de Valen- ciennes, les complaintes sur la passion de N.-S. et sur la passion de saint Léger retrouvées dans le manuscrit de Clermont[1]. Jusqu'à la fin du moyen âge, c'est-à-dire jusqu'au XVe siècle, ces deux dialectes ont deux histoires, présentent deux littératures qu'on ne saurait confondre, malgré leur parenté étroite. La langue d'oc, peu à peu supplantée par la langue d'oïl , tombe enfin à l'état de patois. La langue d'oïl, la langue romane du nord, devient la langue française. C'est cette dernière seule, par conséquent, qui nous offre les véritables origines de notre littéra- ture ; c'est elle seule qui doit avoir place dans le tableau que nous essayons de tracer de notre ancienne poésie.

Un seul document en prose , les Lois de Guillaume le Conquérant[2], témoigne des progrès de la langue romane au XIe siècle. Aucun autre texte ( nous ne nous occupons plus que de la langue d'oïl ), ne peut être, du moins jusqu'à de nouvelles découvertes, attribué à cette épo- que avec vraisemblance. La poésie, en particulier, présente donc une lacune d'un siècle. Il n'est pas douteux, cependant, qu'un mouvement assez vif d'activité intellectuelle n'ait eu lieu pendant cette période ; c'est là ce que prouvent suffisamment les grands faits historiques du temps, le réveil de l'esprit communal, les événements qui agitent le monde, les conquêtes des Normands, les croisades qui commencent. Il est certain qu'à ce moment, où une sève nouvelle semble rajeunir l'hu- manité, la verve populaire ne fut pas muette. On doit en effet rap- porter à cette époque le germe de beaucoup de productions qui ne nous apparaîtront que plus tard. Les poëmes héroïques, les chansons de geste, pour nous servir du terme consacré, que nous trouverons au XIIe et au XIIIe siècle, portent presque toujours en elles la trace de transformations successives qui nous obligent à reculer jusqu'à une époque bien antérieure la date de leur origine. De l'absence de tout

  1. Collection des documents inédits relatifs à l'histoire de France, Tome IV des Mélanges.
  2. Origine et formation de la langue française, par M. A. de Chevallet.