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CHANSONS DE GESTE.

la mère jetait un cri de douleur sur son fils mourant ; la fiancée tendait en souriant sa main blanche vers la rude main du héros, quand le mariage se faisait, entre deux batailles ; un baron dont le sang coulait à flots s’écriait : Ah ! combien va gémir mon épouse au corps gracieux ! C’était toute la part d’activité et de souvenir que les premiers jongleurs accordaient aux dames et aux demoiselles. Le Seigneur Dieu, père de justice, le puissant roi couronné, Charles, l’empereur à la barbe blanche, et la lutte contre les ennemis du nom chrétien, préoccupaient tous les poètes.

Au XIIIe siècle la femme devient un élément plus actif des combinaisons dramatiques ; elle amène dans l’action son cortège habituel de vertus, de passions, de faiblesses. Elle a séduit les trouvères, et elle introduit dans l’art la finesse, la recherche, l’analyse minutieuse, toutes les couleurs délicates déliées, douces et variées, qui étaient nécessaires à un art si souvent occupé à analyser des instincts compliqués, à peindre des portraits gracieux.

Le plus célèbre de tous les poètes épiques du XIIIe siècles, et celui chez qui domine surtout la préoccupation artistique de la femme, est incontestablement Adam de Brabant, plus connu sous le nom d’Adènes ou d’Adam le Roi. Il naquit vers 4240, en Brabant, où il fut élevé et nourri, comme il le dit en son Cléomadès, par le bon duc Henri III. Ce prince, qui nous a laissé plusieurs chansons assez vivement écrites, fit apprendre à Adam le mestier de ménestrel, et le jeune poète lui garda une reconnaissance dont ses œuvres nous donnent souvent la preuve. Après la mort du bon duc, arrivée en 1261, Adènes s’attacha aux deux enfants de son protecteur Jean, duc de Brabant, et Godefroi, seigneur d’Aerschot. En 1270 et 1271 nous le trouvons en Italie et en Sicile, à la suite de Guy de Dampierre, comte de Flandre, auprès duquel il resta jusqu’en 1296. C’est à la cour de ce prince qu’il obtint vraisemblablement le titre de roi des ménestrels, et qu’il prit, en cet honneur, le nom d’Adènes le Roi. Ses fonctions en Flandre ne l’empêchèrent pas de faire à Paris de nombreux et de longs voyages. Marie de Brabant, fille de son premier protecteur et épouse de Philippe III, successeur de saint Louis, l’attira sans doute à la cour de France, où il sut plaire tout particulièrement à Robert d’Artois, l’ami, l’illustre et intelligent protecteur d’un autre poëte célèbre du XIIIe siècle, Adam de La Halle.

Quoi qu’il en soit, l’influence du dialecte et du génie de l’Ile-de-France l’emporte de beaucoup, dans les œuvres d’Adènes, sur l’inspi-