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IV
AVANT-PROPOS.

son poëme des Quatre Métamorphoses, il est, avant André Chénier, le restaurateur de la poésie antique, le rénovateur de la moderne ; enfin, dans la plus importante de ses œuvres, l’épopée bizarre mais souvent sublime, qui a pour titre : la Panhypocrisiade, il fraye la route à ses successeurs immédiats en littérature : les romantiques. Eh bien ! de tous ces courageux efforts il n’est récompensé que par l’insuccès. Il vise (et il en a le droit) à la gloire, il n’atteint qu’au scandale. De la disgrâce du maître d’alors, son ancien ami, le premier consul, il tombe dans la disgrâce de cet autre maître des poètes, le public ; enfin, pour comble d’infortune, son nom s’enfonce peu à peu dans l’oubli. Il meurt, et ses héritiers littéraires n’osent l’avouer hautement pour leur auteur ; c’est à peine s’ils lui accordent, par la bouche de M. Victor Hugo, son successeur à l’Académie, une dédaigneuse oraison funèbre où les louanges obligées sont largement compensées par de sévères réserves. Et de nos jours, qui connaît, même de nom, hormis quelques lettrés, la Panhypocrisiade et les Quatre Métamorphoses ?

Voici maintenant un contemporain de Lemercier, Jacques Delille, qui a, lui, tout au contraire, épuisé, de son vivant, les ovations. Il succède à Voltaire dans la royauté poétique du XVIIIe siècle, et son avènement est acclamé par ses rivaux mêmes. Il est le poëte favori de la Cour, de la Ville, de la France, de l’Europe entière. Fortune, titres, honneurs, il obtient tout, sans contestations, sans efforts ; la Révolution française, qui a tout renversé, laisse debout la gloire de l’heureux abbé. Ce contemporain de J.-J. Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre est regardé comme le maître suprême de la littérature descriptive. Sa traduction des Georgiques lui avait valu le titre de Virgile français ; le seul grand malheur qui le frappe dans sa longue carrière, la cécité, achève, aux yeux d’un public égaré par un fanatique engouement, la ressemblance de l’auteur des Jardins avec Homère et Milton, dont on le proclame l’émule. Les honneurs posthumes répondent à ceux dont sa vie a été, jusqu’à la fin, comblée ; son corps embaumé est exposé au collège de France sur un lit de parade, la couronne de laurier au front !

Là s’arrête, il est vrai, l’apothéose ; et l’inévitable réaction qui l’a depuis traîné aux pires des gémonies, à ce puits de l’oubli dont parle d’Aubigné, a fait durement expier à la mémoire du facile rimeur le crime d’avoir eu sa place au Panthéon de la poésie.

Nous avons dû rétablir ici, au sujet de ces deux poètes, en n’ayant égard qu’au talent, l’équité de rétribution si étrangement méconnue par les contemporains. Nous n’avons eu que l’embarras du choix