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cain, « l’ennemi acharné du luxe, des beaux-arts et des belles-lettres [1] ».

Cette contradiction apparente s’explique. Baudelaire avait l’esprit assez large pour embrasser, dans la même question, les points de vue les plus opposés. Ses nerfs d’ailleurs l’inclinaient toujours du côté où ils pouvaient vibrer davantage ; ne trouve-t-on pas ces lignes, dans le livre inachevé sur la Belgique : m Non seulement je serais heureux d’être victime, mais je ne haïrais pas d’être bourreau — pour sentir la Révolution des deux manières ? » Et encore, dans Mon cœur mis à nu (III) : « -Je comprends qu’on déserte une cause pour savoir ce qu’on éprouvera à en servir une autre ? » Il est permis en outre de supposer que la haine qu’il continuait de nourrir contre le général Aupick, et dont on trouvera plus loin un trait trop éclatant, ne fut pas pour rien dans son éphémère participation au mouvement révolutionnaire [2].

  1. Voir OEuvres complètes, t. II, p. 189.
  2. M. Buisson place à cette date environ une très significative anecdote. Je lui laisse la parole : « Je logeais alors à l’angle de la rue des Saints-Pères et de la rue de Grenelle. Baudelaire était venu me réveiller dès le matin. Nous devisions. Ma sonnette tinte brusquement. Entre un grand évèque à cheveux blancs, à l’air franc, épanoui, une belle tète de Jordaens avec beaucoup plus d’intelligence. — « Mon cher ami, me dit-il en entrant et en saluant, je ne puis voir le ministre avant trois quarts d’heure, mais je ne veux pas quitter le quartier, faites-moi déjeuner. Oh ! c’est bien simple : deux petits fromages de Neufchâtel, un petit pain noir, une demi-bouteille de bordeaux. » Baudelaire n’avait pas bougé.