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De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène,
Qu’importe, si tu rends, — fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine !
L’univers moins hideux et les instants moins lourds [1] ?

Il s’était habitué à ne chercher dans l’amour que des joies fugitives et des suggestions poétiques. Peu lui importait de ne les devoir qu’à des illusions.

Son goût des jouissances rares et des condiments de la passion devait entraîner le poète à des fantaisies étranges, que ceux qui l’ont connu, dans l’intimité, ont pu noter [2].

  1. Fleurs du mal, p. 117.
  2. « Ses amours ont eu pour objet des femmes phénomènes. Il passait de la naine à la géante, et reprochait à la Providence de refuser souvent la santé à ces êtres privilégiés. Il avait perdu quelques géantes de la phtisie et deux naines de la gastrite. Il soupirait, en le racontant, tombait dans de profonds silences et terminait par : « Une des naines avait soixante- douze centimètres seulement. On ne peut tout avoir en ce monde, murmurait-il alors, philosophiquement. » (Le Gaulois, article cité, page précédente.) Je ne cite ce propos de Baudelaire que comme un exemple typique des mystifications à outrance dont il aimait à se divertir.
    Parfois, même, il affectait de mêler à ses caprices érotiques une pointe de fantaisie sadique :
    « Un soir, nous nous trouvions dans je ne sais plus quelle brasserie, et le poète des Fleurs du mal racontait je ne sais quoi… d’énorme. Une femme blonde, assise à notre table, écoutait tout cela, les yeux écarquillés et la bouche ouverte. Tout à coup le narrateur, s’interrompant, lui dit : « Mademoiselle, vous que les épis d’or couronnent et qui, si superbement blonde, m’écoutez avec de si jolies dents, je voudrais mordre dans vous, et, si vous dai-