Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Baudelaire n’avait pas écrit, à son propos, le célèbre sonnet où il exprime la froide horreur dont le cœur de marbre d’une courtisane frappe l’amant le plus ardent[1].

Une autre, la petite mendiante rousse, à laquelle il dédia la pièce connue sous ce nom, — qui inspira à Banville l’ode À une petite chanteuse des rues, et dont Deroy a laissé un portrait.

Les liaisons éphémères, que le poète noua et dénoua vers le même temps, dans le milieu de la bohème joyeuse de 1840, où l’avait introduit son ami Privat d’Anglemont, ne purent avoir sur son cœur qu’une influence peu profonde. D’ailleurs elles furent promptement interrompues par le voyage aux Indes.

Pendant les dix mois que dura son absence, il toucha terre en divers pays ; et quoiqu’il n’ait guère eu le temps de séjourner nulle part, il eut sur sa route quelques aventures galantes.

Dans le très intéressant et spirituel volume qu’il a intitulé : Mes souvenirs, Théodore de Banville nous a conservé un fort pittoresque récit, que Baudelaire lui fit, dès leur première rencontre, de ses rapides amours, au pays des palmes et des tamariniers[2].

  1. V. les Fleurs du mal, édition des Œuvres complètes, XXXIII.
  2. « Dans je ne sais plus quel pays d’Afrique, logé chez une famille à qui ses parents l’avaient adressé, il n’avait pas tardé à être ennuyé par l’esprit banal de ses hôtes, et il s’en était allé vivre seul sur une montagne, avec une toute jeune et grande fille de couleur qui ne savait pas le français, et qui lui cuisait des ragoûts étrangement pimentés dans un grand chaudron de cuivre poli, autour duquel hurlaient et dansaient des petits négrillons nus. » Voilà un récit si fortement empreint de couleur locale, qu’on est fort tenté de n’y voir qu’une de ces mystifications où Baudelaire se complaisait, uniquement pour jouir de l’étonnement de son auditeur.