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manches larges, basques assez carrées pour draper, assez ajustées pour garder le caractère laïque, gilet de casimir noir, demi-droit, demi-montant, aisé, cravate noire à larges bouts, très bien nouée sans raideur, plus près du foulard que du carcan. Pantalon de casimir ou de drap fin, non collant. Souliers lacés ou escarpins bas, noirs en hiver et blancs en été. Au demeurant, le déshabillé le plus habillé et l’habillé le plus déshabillé du monde. Complet invariable et de toute saison[1]. »

De cette toilette, empreinte de britannisme, et qui visait à l’excentricité, M. Buisson donne une explication très judicieuse :

  1. À propos de ce costume, M. Buisson fait la remarque suivante : « Baudelaire n’était dandy que pour la bohème du temps des Cariatides et les poètes du quartier latin. On ne retrouverait le large habit noir habituel, boutonné jusqu’au-dessus des hanches, que dans une eau-forte d’après Courbet très jeune, gravée par Masson pour le volume de Théophile Silvestre. »
    C’est à cette période d’élégance que se rattache l’anecdote contée par M. Champfleury (Souvenirs et portraits de jeunesse, p. 336) : « Baudelaire fit mander, une fois, un tailleur. Il voulait un habit bleu, à boutons de métal, pareil à celui de Gœthe, qu’on voit sur les pipes de porcelaine, en Allemagne. Plusieurs rendez-vous furent pris avec le tailleur. Baudelaire n’était jamais content : les manches ne faisaient pas assez de plis, les basques étaient trop courtes, le collet ne montait pas assez haut. Baudelaire demandait un collet dans lequel il pût rentrer sa tête, les jours d’orage, comme un colimaçon dans sa coquille ; lui et le tailleur passèrent huit jours à promener la craie sur cet habit bleu. Enfin, on arriva à un résultat à peu près satisfaisant. Baudelaire se logea dans l’habit, s’examina, marcha ; après quoi, se tournant d’un air aimable vers le tailleur : Faites-m’en douze comme celui-là, lui dit-il. »