Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éditer, à frais communs, et publier sous ce titre vague : Vers (Paris, 1843)[1].

Baudelaire accepta d’abord, et leur demanda même de s’adjoindre un de ses amis, M. Auguste Dozon, poète de talent, qui, en effet, figure dans le recueil, sous la signature : d’Argonne, empruntée au nom de son pays natal. Mais, au dernier moment, Baudelaire se retira ; une note de M. Le Vavasseur explique pour quel motif :

« Il m’avait remis ses manuscrits. C’était l'ébauche de quelques pièces insérées depuis dans les Fleurs du mal (Spleen et Idéal). Sans faire la grimace, je fis mes observations. Je voulus même, imprudent et indiscret ami, corriger le poète. Baudelaire ne dit rien, ne se fâcha point, et retira sa part de collaborateur. Il fit bien. Son étoffe était d’une autre trame que notre calicot, et nous parûmes seuls[2]. »

  1. On trouve notamment dans ce volume un sonnet où M. Le Vavasseur lance l'anathème contre l’Olympe, et qui se termine par ce vers :

    Dieu joyeux, je vous hais ; Jésus n’a jamais ri !

    Baudelaire qui, selon le témoignage de M. Buisson, aimait à le ressasser, en a longuement développé l’idée dans son Essence du rire.

    Au sujet de l’influence que put exercer sur son esprit le petit groupe où il vivait, remarquons encore que le livre où MM. Prarond, Levavasseur et Aug. Dozon avaient réuni leurs premières productions, dégage un spiritualisme particulièrement catholique.

  2. C’est à cette collaboration manquée que M. Levavasseur, s’adressant à son ami Prarond, dans le petit poème La Rime, fait l’allusion que voici :

    « Nous aimions follement la rime : Baudelaire
    Cherchait à l'étonner plus encor qu'à lui plaire ;
    Avait-il peur de voir, par un souci puéril,
    L’originalité de sa muse en péril ?
    Et son indépendance était-elle effrayée
    De suivre, en cet amour, une route frayée ?
    Peut-être : parmi ceux d’hier et d’aujourd’hui,
    Nul ne fut moins banal ni moins naïf que lui. »