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intéresse comme si elle me regardait personnellement. Cette poursuite n’a aucun sens. Elle me révolte.

» Et on vient de rendre des honneurs nationaux à Béranger ! à ce sale bourgeois qui a chanté les amours faciles et les habits râpés !

» J’imagine que, dans l’effervescence d’enthousiasme où l’on est à l’encontre de cette glorieuse binette, quelques fragments de ses chansons (qui ne sont pas des chansons, mais des odes de Prudhomme), lus à l’audience, seraient d’un bel effet. Je vous recommande ma Jeanneton, la Bacchante, la Grand’mère, etc. Tout cela est aussi riche de poésie que de morale. Et puisqu’on vous accuse, sans doute, d’outrage aux mœurs et à la religion, je crois qu’un parallèle entre vous deux ne serait pas maladroit. Communiquez cette idée (pour ce qu’elle vaut ?) à votre avocat [1].

» Voilà tout ce que j’avais à vous dire, — et je vous serre les mains.

» À vous. »
23 août 1857[2].
  1. On remarquera l’analogie des arguments dont Sainte-Beuve et Flaubert conseillèrent respectivement l’emploi à leur ami. Elle est si grande qu’on serait tenté d’établir entre eux un rapport de cause à effet, si les dates ne s’opposaient à cette conjecture. Sainte-Beuve a évidemment rédigé ses Petits moyens de défense à la veille de l’audience du 21 août 1857, où les plaidoiries et le jugement furent prononcés, tandis que la lettre de Flaubert est datée du surlendemain, circonstance étrange qui ne s’explique que par l’ignorance où Flaubert, confiné dans son travail, à Croisset, vivait de tout ce qui se passait à Paris.
  2. V. la réponse de Baudelaire, 25 août 1857.