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non, que diable î je sais bien que non ! laissez-moi ’ faire. — Mais…. insista Baudelaire, combien de temps serons-nous à diner ? trois quarts d’heure environ ? pendant ce temps combien de fois aurez-vous envie de vous moucher ? deux fois ? trois fois ? hum ? Eh bien, il est impossible qu’il n’y ait pas encore sur votre mouchoir deux ou trois places pour vous moucher. — C’est trop fort ! — Montrez-le moi ! » Et il étendait la main d’un air majestueux. À partir de ce jour, je l’appelai ma bonne ; et c’est tout au plus s’il comprit la plaisanterie, tellement il était convaincu d’avoir toujours raison.

J’ai dit souvent que Baudelaire était un des rares hommes avec lesquels je n’avais jamais connu l’ennui. Je crois sérieusement qu’il a été le seul. Avec lui, la conversation n’avait jamais do trous. Son amour de la discussion l’avivait sans cesse. Seulement la discussion durait quelquefois depuis midijusqu’à onze heures du soir. Sa foi naïve dans son infaillibilité s’exprimait parfois de la façon la plus comique. C’est au Bois de Boulogne, au milieu d’une vive discussion sur la nécessité du plan dans l’art d’écrire, qu’il me dit un jour, d’un ton d’autorité : « Voyons, voyons, voyons I Je vous ai dit ceci. Vous m’avez répondu cela. Et je vous ai répliqué… avec beaucoup de justesse ! ! I » Je faillis tomber à la renverse en éclatant de rire ; lui, il était sérieux comme un brahme, rouge, et superbe d’indignation. « Eh bien, quoi ? reprit-il, après que nous eûmes fait quelques pas. Il faut bien que Je le dise, puisque vous ne le dites pas. » Le soir de cette discussion mémorable, il se vanta à Monselel dé m’avoir rouit’.