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tyrannique des hommes, dans les habitudes de la vie. N’ayant ni heures, ni règles, virant au jour le jour, au moment le moment, il ne concevait pas qu’on pût vivre autrement que lui. 11 arrivait chez moi à midi comme je sortais de table, et voulait me faire dincr à trois heures. Je lui objectais que n’ayant pas faim, il me serait impossible de manger. « Eh bien, quand aurez-vous faim ? demandait-il en me piquant son regard dans l’œil, dans une demi-heure, par exemple ? — Non. — Eh bien ! dans une heure, hein ? — Mais non ! j’ai quitté la table à midi. J’ai déjeuné à la fourchette. Je veux dîner à 6 heures, à 6 heures 1/2, comme tout le monde I — Gomme tout le monde ! vous réglez donc votre estomac sur les horloges publiques ?)) Lue autre fois il me disait : — « Voyons, il est 3 heures i//i :vous allez \oushabiller,ilsera3 heures 1/2. Noos nous en irons ensuite tout doucement par le boulevard. Il sera donc environ quatre heures quand nous entrerons au restaurant. Le temps de commander, de servir, etc. » Le tout était de n’amener à faire immédiatement sa volonté. Il avait avec cela le goût malheureux des aventures. On était sorti par une barrière dans des quartiers impossibles. Baudelaire voulait dîner, diner tout de suite. Il connaissait un cabaret où ’on serait très bien. Ou bien : « Pourquoi ne dîneons-nous pas dans ce cabaret ? n’a-t-il pas bonne mine* ? » — N’aimant pas à diner à la bonne fortune, j’insistais pour rentrer dans Paris. Mors il se lâchait, me traitait de maniaque, de gourmand, de dégoûté, de Sardanapale. Je savais d’ailleurs à quoi m’en tenir sur ses merveilleux cabarets où la cuisine était toujours