Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/272

Cette page n’a pas encore été corrigée

abjurerez Marianne, vous aussi ! » Non seulement ce pronostic ne s’est point vérifié, mais encore j’affirme qu’il ne se réalisera point. En matière religieuse, l’homme se disait catholique ultramontain. Pur dandysme ! Il ne croyait, au fond, ni à Dieu ni à diable, bien qu’il feignît de craindre et de révérer Satan, « ce rusé doyen ! » Ne pouvant guère nous entendre sur ces mystagogies, j’avais toujours soin de ramener la conversation sur l’esthétique, et c’est alors que je buvais vraiment du lait à l’entendre arguer. Ordinairement très sobre, avec ses intimes, de ces harangues dont il aimait à éblouir le « vulgum pecus », quand il consentait à poser pour la galerie, ce nerveux et correct orateur, encore agité de la fièvre du travail, eut envie, ce jour-là, de phraser pour moi seul, et, dérogeant à ses habitudes, il improvisa. Quelle verve et quel feu ! Loin de me décocher un de ces discours bizarres et froids, savamment alambiqués, dont, en d’autres circonstances ainsi qu’en d’autres lieux, il" n’eût pas manqué de stupéfier l’aimable bourgeois, il s’exprima chaudement, à bâtons rompus, impétueux et naïf comme un cœur de vingt ans. Avec quel enthousiasme il me dépeignit toutes ses passions artistiques et mit devant moi « son âme à nu ». Selon lui, notre langue était la reine des langues, et les lettres le premier des arts. Elle les avait tous engendrés et conçus, la littérature ; aussi les dominait-ellestous. Ils devaient donc s’incliner devant elle et lui rendre grâces avec humilité. N’était-elle pas pleine de rythmes, et de rythmes plus merveilleux et plus nombreux que ceux afférents à la musique ; et, comme cette dernière,