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delairiens puissent obliger la mémoire de leur poète, c’est donc d’arracher à la vérité jusqu’au dernier haillon dont elle se voile, en publiant intégralement tous les témoignages, tous les documents qu’ils possèdent, fussent ceux-ci d’un ordre familier et intime, — surtout s’ils sont tels, dirai-je même, car on y trouvera de meilleures raisons où asseoir sa conviction. L’heure est propice, puisque, assagi, le symbolisme a ramené la faveur et la curiosité du public vers le grand ancêtre que ses exubérances — d’ailleurs fécondes — avaient un instant aidé à compromettre. Et quelles convenances nous opposerait-on ? La respectabilité du lecteur ? — « Hypocrite lecteur mon semblable, mon frère !  » — Celle du poète ? Je répondrais d’abord que la morale d’un Baudelaire a le droit, de n’être pas taillée sur celle de la foule, puis qu’à jeter dans la balance commune sa vie tout entière, il n’est point prouvé que ses vertus ne l’emporteraient pas, et de beaucoup, sur ses faiblesses. Mais qu’importe ? L’important, c’est qu’allant rejoindre définitivement tant d’accessoires funambulesques du romantisme, le pourpoint moyennâgeux du bon Théo et l’ours que Byron menait au spectacle, les fables des cheveux verts ou de la cervelle de petit enfant cessent de faire tort aux Fleurs du Mal ; le capital, c’est qu’on puisse décider en connaissance de cause s’il faut continuer d’avoir « peur d’être dupe », ou si Baudelaire fut l’homme de son livre, si les Fleurs du Mal sont une œuvre sincère. Voilà où réside la vraie question baudelairienne, celle qui motive et légitime toutes les recherches biographiques, et qui ne sera entièrement résolue qu’à l’heure où la vie et le caractère de Baudelaire nous seront entièrement familiers.

J’ai fait ici ce qu’il était en mon pouvoir pour aider à son éclaircissement. Non point en prenant parti, — alors mon travail n’aurait valu que ce que vaut une opinion, — mais en réunissant aux documents déjà connus, tous ceux, sans réserve aucune, dont je disposais personnellement ou qu’on a