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loir troubler la vie d’une femme « qui a ses affections placées et peut-être ses devoirs ». Mieux : ayant rencontré « l’ami » de Mme  Sabatier, il se déclare heureux de le trouver « aimable et digne de plaire ! » Nous voici loin du fameux :

Maudit soit à jamais le rêveur inutile…

Ce n’est pas seulement la beauté de son idéale maîtresse qu’il exalte, c’est sa vertu. Ce n’est pas seulement à ses « yeux pleins de lumières » qu’il demande de le conduire et de le garder « dans la route du Beau », mais aussi à ses prières ! Vous souvenez-vous qu’il s’étonnait très fort, jadis, que les églises ne fussent pas interdites aux femmes ?… Cet envoi de billets anonymes dure cinq années, de 1852 à 1857 ; le poète semble s’abandonner avec ivresse au souffle de son spiritualisme amoureux ; il a atteint les plus hauts sommets de la mysticité : Mme  Sabatier est vraiment devenue sa Laure et sa Béatrice, sa Muse et son bon Ange, sa conscience et sa Sainte. Lisez plutôt :

« … Vous êtes pour moi non seulement la plus attrayante des femmes, de toutes les femmes, mais encore la plus chère et la plus précieuse des superstitions… » (8 mai 1854.)

» … Vous avez été, sans aucun doute, tellement abreuvée, saturée de flatteries, qu’une seule chose peut vous flatter désormais, c’est d’apprendre que vous faites le bien, même sans le savoir, même en dormant, simplement en vivant… » (7 décembre (1854.)

» … Quand je fais quelque grande sottise, je me dis : mon Dieu ! si elle le savait ! quand je fais quelque chose de bien, je me dis : voilà qui me rapproche d’elle en esprit… » (18 août 1857.)

Et souvenez-vous encore de tant de vers d’adoration.