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exalté dans Fusées (XVI), Mme Sabatier était d’une beauté rare et splendide, qu’attestent assez la Femme piquée par un serpent, de Clésinger, et la Femme au chien, de Ricard. À sa table s’asseyaient tous les dimanches l’élite des artistes et des écrivains, Préault, Dumas père, Feydeau, Gautier, Meissonnier, Musset, Clésinger, Flaubert, Bouilhet, Maxime du Camp, d’autres encore. Avec de tels partenaires, on le devine aisément, la conversation prenait parfois un tour quelque peu paradoxal, voire subversif. Mais la Présidente, — ainsi l’avaient baptisée ses amis qui tous eux-mêmes, à l’instar des habitués de l’hôtel de Rambouillet, s’étaient affublés de surnoms familiers ou grandiloquents, — possédait à fond l’art exquis de concilier les plus grandes libertés avec le bon ton. Enfin elle joignait à une bonté très réelle une intelligence naturellement vive et qu’avait encore affinée le milieu où elle vivait.

À la comparer à Jeanne Duval, on ne s’étonnera pas si Mme Sabatier fit une vive impression sur Baudelaire ni si elle bénéficia du contraste. La Vénus noire et la Présidente, le Démon et l’Ange, la Chair et l’Esprit, le Vampire et l’idéale Amie [1], voilà les deux pôles du Baudelaire amoureux et même, plus généralement, de Baudelaire tout court. Il m’en coûte fort, en ce moment, d’avoir à me souvenir du cadre strict de cette étude : à tenter d’analyser par le fin ce roman qui

  1. Baudelaire écrira notamment à Mme Sabatier, en lui envoyant l’Aube spirituelle : « After a night of pleasure and desolation, all my soul belongs to you. »