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« Faut-il vous dire à vous, qui ne l’avez pas plus deviné que les autres, que, dans ce livre atroce, j’ai mis toute ma pensée, tout mon cœur, toute ma religion (travestie), toute ma haine ?I1 est vrai que j’écrirai le contraire, que je jurerai mes grands dieux que c’est un livre d’art pur, de singerie, de jonglerie ; et je mentirai comme un arracheur de dents. »

Si Baudelaire n’a pas tenu à ses juges le même langage, c’est uniquement par respect humain et par prudence.

Le public répondit à la sentence, qui frappait le poète, par un redoublement de curiosité envers sa personne et son œuvre. Quant aux littérateurs, aux artistes, leur protestation fut unanime (i). Victor Hugo lui écrivit :

(i) Un écrivain de talent, trop oublié aujourd’hui, le marquis de Gustine, que Baudelaire estimait fort non seulement comme romancier, mais aussi comme dandy et comme catholique, l’avait remercié de l’hommage d’un exemplaire de son livre par une lettre que l’édition définitive des Fleurs du mal a publiée. En apprenant le dénouement du procès, il écrivit à M. Barbey d’Aurevilly :

« Je partage également votre opinion sur le poète condamné, mais non jugé par notre police morale… Nos puritains en robe noire s’obstinent à vouloir faire de ce monde un couvent consacré à l’éducation des jeunes fdles. Là, on pourrait faire ignorer le mal ; ici, on ne peut que le faire craindre et haïr. Si l’on exclut de la littérature la peinture du vice, il faut renoncer non seulement à l’art, mais à la religion, et commencer par saisir la Bible pour en ôter la moitié des chapitres, le Cantique des cantiques et beaucoup de versets de YEpître de saint Paul aux Romains, où le vice est affreusement caractérisé, avec une crudité qui révolterait la correctionnelle, si elle trouvait ce style-là chez un moderne… »