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« Baudelaire prit part, comme insurgé, aux journées de juin 1848. Nous étions restés, Chennevières [1] et moi, à la garde du Louvre, pendant les journées de juin. Aussitôt après la reddition du faubourg Saint-Antoine, nous sortîmes, allant à la découverte et aux informations. Nous rencontrâmes, dans le jardin du Palais-Royal, un garde national de notre pays, et nous l’emmenâmes boire un coup. Dans la diagonale que nous suivions pour gagner le café de Foy, nous vîmes venir à nous deux personnages de différent aspect : l’un nerveux, excité, fébrile, agité ; l’autre calme, presque insouciant. C’étaient Baudelaire et Pierre Dupont. Nous entrâmes au café. Je n’avais jamais vu Baudelaire en cet état. Il pérorait, déclamait, se vantait, se démenait pour courir au martyre : « On vient d’arrêter de Flotte [2], disait-il, est-ce « parce que ses mains sentaient la poudre ? Sentez les miennes ! » Puis des fusées socialistes, l’apothéose de la banqueroute sociale et cætera. Dupont n’y pouvait rien. Comment nos prudences normandes tirèrent-elles notre ami de ce mauvais pas ? Je ne m’en souviens guère. Mais je pense que la cocarde de mon ami le garde national joua un rôle muet, apparent et salutaire dans la petite comédie du sauvetage.

« Quoi qu’on ait pensé du courage de Baudelaire, ce jour-là, il était brave et se serait fait tuer [3]. »

  1. M. Philippe de Chennevières, l’auteur des Contes normands de Jean de Falaise et le futur directeur des Beaux-Arts.
  2. Ce personnage eut son heure de célébrité et, par certains côtés de son caractère, surtout par son dévouement à ses convictions, il avait droit aux sympathies du poète. — « De Flotte peut être rangé avec Wronski, Blanqui, Swedenborg, etc., dans le Panthéon, quelque peu bizarre, qu’élevait Baudelaire, suivant ses lectures, les événements du jour et la notoriété conquise tout à coup par certaines figures. » (Notes de M. Champfleury.)
  3. Il faut noter que, dans cette même période qui devait être la plus agitée de sa vie, Baudelaire « se battit en duel avec M. Barthet. Les témoins étaient pour M. Bar-