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Asselineau a laissé dans l’ombre cet avatar du poète, mais heureusement le témoignage d’autres amis de Baudelaire supplée à son silence. Voici une anecdote des plus intéressantes :

« En 1848, le 24 février au soir, je le rencontrai au carrefour de Buci, au milieu d’une foule qui venait de piller une boutique d’armurier. Il portait un beau fusil à deux coups, luisant et vierge, et une superbe cartouchière de cuir jaune tout aussi immaculée ; je le hélai ; il vint à moi, simulant une grande animation. « Je viens de faire le coup de fusil », me dit-il. Et comme je souriais, regardant son artillerie tout battant neuve : « Pas

    — « Baudelaire, fis-je avec une nuance de reproche, Mgr T., évêque de Montpellier. Il se leva avec raideur et sortit sans saluer. « Comme l’évêque, me le montrant du doigt, m’interrogeait sans parler : — « C’est, lui dis-je, un de mes amis, il est plein de talent, mais un peu fou. Sa mère s’est remariée avec le général Aupick. Le général ne le comprend pas, il ne comprend pas le général, sa mère pleure et lui rugit. — Pauvre jeune homme ! dit l’évêque avec un sentiment de commisération vraie et une grande indulgence : ce n’est pas pour rien que l’Eglise voit avec peine les secondes noces. » « Quelle lubie avait passé par la cervelle de Baudelaire ? L’horreur du galon, — le pauvre évêque en avait à son chapeau, — le plaisir de braver le galon, l’association d’idée entre galon et galon, galon de général et galon d’évêque, etc. » On peut rapprocher de cette anecdote celle que rapporte Schaunard dans ses Souvenirs et encore ces lignes extraites des Souvenirs et portraits de jeunesse de Champfleury : « Il eût fait un détour considérable pour ne pas rencontrer un soldat, ayant été froissé dans sa jeunesse, me dit-il, par le contact de militaires haut placés. »