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Catarina.

Que veux-tu dire ?

Laodice.

Vous me faites tricoter des échelles de soie comme une femme qui aurait des projets… Et voilà que vous pleurez l’absence de votre mari, comme si vous le regrettiez ; cela manque de logique.

Catarina.

Nou-nou, chère, Nou-nou, tu vas me comprendre. Mais c’est un terrible secret que je vais te révéler : j’aime ! j’aime !

Laodice.

Vous aimez ! — Votre mari ?

Catarina.

Mon mari ! allons donc ! Je parle sérieusement ! — Il a vingt ans celui que j’aime ; il est beau, il est brave ; je suis sa vie, il est la mienne ; il se nomme Amoroso, et je ne sais rien au monde de plus étincelant que le rayonnement de son jeune front sous la couronne de ses blonds cheveux !

Laodice.

Vous l’aimez. Mais alors pourquoi désirez-vous le retour de votre époux ?

Catarina.

Pourquoi ? Écoute : ce matin, avec le jour, Amoroso était sous mon balcon, il chantait et le ciel s’ouvrait pour moi. Qui ne l’a pas entendu n’a rien entendu ! J’allais lui jeter l’échelle de soie. — Tout à coup, armés et masqués, paraissent quatre bandits. — À leur tête, cet affreux Fabiano Fabiani Malatromba ! — On s’empare d’Amoroso, on l’emmène, on l’entraîne, et voilà pourquoi je regrette mon époux !

Laodice.

Mais, madame, je ne comprends pas.

Catarina.

Mon Dieu ! es-tu assez nourrice ! Tout cela n’arriverait pas si mon mari était ici. — Une fois le doge à Venise, qui fait d’Amoroso son plus intime ami ? — Cornarino ! qui l’invite à dîner ? — Cornarino ! — À m’accompagner dans ma gondole ou sur la guitare ? Cornarino ! Cornarino !… Voilà ce qu’ont fait et feront toujours les Cornarini ! Et voilà pourquoi je regrette mon époux !

Laodice.

À la bonne heure !… comme cela je comprends !